Libre bout de papier !
De passage comme d’habitude prés d’une administration sécuritaire, je ne me serais jamais aperçu que l’un de ses hauts personnages venait d’arriver, si les agents présents là-bas ne s’étaient mis dans un état d’alerte frappant. C’était tellement exagéré pour un état normal des choses, qu’on craignit qu'un état d’exception fût décrété dés cette paisible matinée. Je me demandais si vraiment leur but était d’assurer une protection optimale à la haute personnalité descendue de son somptueux véhicule, ou était-ce de faire un acte d’ostentation devant elle, de lui montrer qu’ils étaient là, qu’ils assuraient, et qu’ils méritaient sa bonté en plus. C’est d’ailleurs ancré dans la seconde nature du subordonné, dés que son supérieur passe, il s’ébranle pour susciter en celui-ci je ne sais quelle impression, à fortiori dans un corps sécuritaire.
Dés que ses pieds touchèrent le sol, l’un des agents s’élança vers la portière luisante, tint la poignée, avec un air comme d’excuse de n’avoir pas accouru plus tôt, pour lui épargner même l’ouverture. Le haut personnage se contenta de sourire. Un sourire ouvert à toutes les interprétations, et l’agent referma après lui.
A pieds, comme un être humain, - parce que, à ne voir certains grands personnages qu’aux mass médias, on commence à les imaginer nous dépassant en nature et non pas uniquement en degré,- bref, à pieds la haute personnalité, marchait vers le perron du bâtiment qui inspirait depuis toujours la frayeur, parce que manifestation topique de l’Etat qui monopolise la violence, au dire de Max Weber ( Je préfère monopole de la force au lieu de violence, la force inspire la légitimité, mais je me demande si c'est à dessein que le sociologue allemand aurait choisi le mot violence). L’état d’exception continuait toujours. La personnalité marchait calmement, lorsqu’un certain moment elle marqua un temps d’arrêt, se retourna, pris de la poche de son pantalon le trousseau infrarouge et verrouilla sa voiture de loin. A ce juste moment et à son insu, un bout de papier sortit de sa poche, et se laissa emporter librement par la brise matinale. L’un des agents, bien costaud, non pas en uniforme mais bien costumé et cravaté, debout prés du perron, ne laissa point ce plaisir au petit bout de papier, car il s’élança de loin aprés lui, comme un enfant, et l‘intercepta dans l’air, pour venir se planter devant la personnalité et le lui donner, avec une révérence encore plus ostentatoire. La haute personnalité n’avait pas vu le papier s’enfuir de sa poche au moment de sortir ses clés, alors l’agent, tout euphorie, commençait à lui expliquer ce qui s’était passé. Elle le prit, l’ouvrit, lut un petit moment, et l’incarcéra dans sa poche à nouveau. Le sourire toujours sur les lèvres.
L’agent restait planté, la haute personnalité gravit le perron sans mot dire, et disparut dans l’édifice effrayant.
L’état d’exception était levé, car enfin de compte il n'était décrétée que par les agents eux-mêmes, à eux mêmes et aux communs des passants dont j'étais un.
Ceci se passa « in no time » comme disent les anglais, ça veut dire en une fraction de minute !
